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 La guerre des fantômes
La guerre des fantômes.
de Boris CYRULNIK
Comme les mots sont des organismes vivants , vous savez que les mots sont engendrés un jour parce que , on se rencontre et on passe la convention d'un mot . Et que ces mots on les nourrit , ils grandissent , et puis ils s'usent et ils perdent un peu leur sens , ils disparaissent et il faut les remplacer par d'autres mots .

Alors c'est ce qui s'est passé avec le mot fantôme qui est certainement né en Ecosse au XIXème siècle et qui s'est bien développé en tout cas dans ce climat brumeux , puis qui s'est bien développé aussi en France à la même époque , et qui s'est également bien développé à Vienne où il est à l'origine du mot fantasme . C'est à dire que de fantôme à fantasme , c'est un peu comme cela que je vais vous parler des fantômes .

Alors , ceux que j'ai rencontrés en tout cas , ce sont les fantômes intimes, ceux qui s'imprègnent dans notre mémoire et qui agissent , qui nous gouvernent , à notre insu et ces fantômes-là , ce sont des apparitions de morts . C'est à dire que pour parler de fantômes , il faut qu'une personne , un événement , un souvenir , soient morts et réapparaissent .

Et cette apparition nous émeut fortement . Et probablement , provoque en nous des comportements, des paniques , des désespoirs ou des espoirs. Ces fantômes imprégnés en nous , ce sont des fantômes familiaux qui viennent de notre alentour , de notre famille , et qui s'imprègnent dans notre mémoire au moment où notre mémoire est la plus vive , c'est à dire quand on est enfant .

Et puis ce que je viens de vous proposer comme idée , c'est à dire que le fantôme c'est la réapparition d'un événement ou d'une personne morte , ça correspond parfaitement bien à la définition du traumatisme , puisqu'on ne peut parler de traumatisme , que si on a été mort , mort totalement ou partiellement . Et ce n'est pas une métaphore puisque on ne peut parler de traumatisme que s'il y a une effraction physique ou que s'il y a eu une déchirure psychologique. Et cette déchirure-là , nous tue en partie , et parfois même beaucoup . Ce n'est ni une métaphore, ni une figure de rhétorique . Tous ceux qui ont été traumatisés disent , parce qu'ils l'éprouvent comme ils le disent : "Je reviens de l'enfer, je reviens à la vie. J'ai été morte jusqu'à l'âge de vingt cinq ans , quand j'ai commencé à chanter." (BARBARA). "J'ai été mort jusqu'à l'âge de douze ans , quand j'ai commencé à devenir délinquant et que je suis rentré dans une petite bande." (Jean GENET) . Et on continue ainsi , on a été mort , et il se fait que quelque chose , une rencontre , nous a réveillés , nous a ressuscités et lentement , nous a fait revenir à la vie . Mais il y a le fantôme du passé qui lui , s'est inscrit dans notre mémoire .

Et puis il y a les fantômes collectifs , et là , pour ce qui est des fantômes sociaux , il vous suffit d'ouvrir n'importe quel journal , et vous verrez qu'actuellement , on se fait des guerres au nom de fantômes morts depuis plusieurs siècles et parfois même morts depuis deux ou trois mille ans . On déterre ces fantômes , et c'est au nom de leur apparition qu'on déclenche la guerre . Vous savez qu'actuellement au Moyen-Orient , on se fait des guerres parce que les dieux font de l'immobilier !

"Cette maison est à moi! // Mais non pas du tout!

Cette terrasse est à mon dieu à moi ! // Mais non , J'étais là avant vous!"

Donc les fantômes agissent et nous font faire des guerres et ils nous gouvernent donc à notre insu . Voilà un peu l'idée générale que je voulais vous proposer .

D'après ce que nous ont expliqué les premiers psychanalystes (avec FREUD en particulier) , sur la nécessité d'une effraction pour parler de trauma , d'une déchirure ou d'une brisure , d'une mort plus ou moins totale , je pense que ceux qui ont été traumatisés , ce sont tous ceux qui ont côtoyé le réel de la mort . C'est à dire que pour ces personnes-là , la mort n'était pas une représentation , une représentation artistique, une représentation religieuse ou philosophique . Ces gens-là, c'est le réel de la mort qu'ils ont côtoyé : "C'est fini , je suis mort !" C'est ce que disent souvent les traumatisés .

Quand on a travaillé avec les gens qui ont été traumatisés par l'attentat du Métro (1995) , la première question qu'ils posaient , c'était : "Qu'est-ce qui s'est passé ?" La deuxième question c'était : "Est-ce que je suis vivant ?" et généralement ils se touchaient , pour savoir s'ils étaient vivants ou si une partie d'eux était morte . Et puis ensuite , ils demandaient : "Expliquez-moi ce qui s'est passé . Est-ce que ça va recommencer ? Comment je vais faire pour revenir à la vie ?" Et ce qui est paradoxal dans cette situation du traumatisme , c'est que celui ou celle qui n'avait pas assisté au réel de la mort , c'étaient eux qui étaient chargés de répondre . Et celui qui était dans le fracas , blessure physique ou mentale , c'était celui-là qui questionnait. Donc , celui qui avait vu le réel de la mort questionnait , et celui qui n'était pas là répondait . On est dans le paradoxe, on est en pleine situation fantomatique ou fantasmatique !

Alors c'est vrai que ces gens qui ont été sur les lieux tout de suite après le trauma , quand il y a une "petite mort" qui est une désorganisation psychique : "Qu'est-ce qui se passe ? Mais qui je suis ? Est-ce que je suis vivant ? Je suis hébété. Mais non, ça n'est pas grave ." (Ceux qui ont eu une grave blessure ont eu droit bien sûr à une urgence médicale , S.A.M.U. et pompiers , et là évidemment ce n'était pas négociable. Je sais bien sûr ce qui s'est passé à Toulouse , et il y a certainement des gens dans la salle qui ont vécu des situations analogues .) Donc cela veut dire là que le réel , il était accessible, il était supportable : "J'ai eu une petite blessure , une coupure , un plâtre; je reste dans le monde des Humains . Et je vais voir l'infirmière , le médecin : Ça me serre un peu, j'ai un peu mal, ça va s'infecter.." Je parle et je reste dans l'acte de la parole , je ne parle pas du contenu , du signifié mais , le simple fait de faire un acte de parole me garde dans le monde des Humains, parce que la parole a une fonction bien plus affective qu'informative . Si on parle , c'est pour tisser un lien , accessoirement pour transmettre des informations . Si on n'était que des machines , on parlerait en morse , on parlerait avec un code . Si on prend soin de faire des phrases avec beaucoup de mots inutiles , c'est pour tisser un lien . Ces gens qui restaient dans le monde des humains , "grâce" à une petite coupure ou grâce à quelque chose qui leur permettait de parler du plâtre ou d'un risque d'infection , ont eu peu de syndromes post-traumatiques ou alors, ces syndromes ont été très retardés.

En revanche , les syndromes post-traumatiques ont été surtout trouvés, dans notre culture , chez ceux qui n'avaient rien d'objectivable . Ils n'avaient pas de fractures , pas de coupures , donc ceux-là ont été chassés du monde des Humains parce qu'ils n'avaient RIEN de partageable . Et certains ont erré pendant 2 ou 3 jours dans les rues de la ville. Et puis, ils sont rentés chez eux à la surprise de tout le monde: "Mais où est-ce que tu étais?"//"Eh bien, je me suis promené."// "Mais ça va bien ?" //Oui, très, très, bien."//Mais il s'est passé des choses?"//"Non, non , rien de grave."

Alors là , on est en plein déni : Le déni comportemental et émotionnel : "Mais non , il ne s'est rien passé . Ce n'est pas grave, c'est fini." Et le déni est fortement culturel , c'est à dire que tous ceux qui ont connu des traumatismes graves , ont été réduits au silence par ceux qui n'avaient pas connu le traumatisme : "Allez , c'est rien tout cela . Oui , nous aussi on a souffert ; allez , la vie continue , on tourne la page." Toutes ces banalités , sont des formulations quotidiennes , banales , du déni .

Alors , que se passe-t-il quand quelqu'un ne peut pas rester dans le monde des humains , qu'il en est chassé souvent par d'autres humains ? Comment fait-il ? Eh bien , en lui , agit un fantôme et c'est ce fantôme qui va réapparaître , fantôme intime , familial ou culturel .

Et quand on a été blessé, que peut-on transmettre ? Je crois qu'on peut faire l'anatomie des fantômes , c'est à dire que parmi ceux qui ont été blessés, il y a des mécanismes de défense . Alors là , cette expression a un sens précis , mais on peut l'employer avec un sens "alentour" . Par exemple , Sigmund FREUD et sa fille Anna , nous ont appris que les mécanismes de défense correspondaient à une explication claire , à une amputation de la personnalité . Mais on peut dire aussi qu'il y a des mécanismes de défense constructifs et même qu'il y a des mécanismes de défense résilients . C'est à dire qui permettent une reprise d'un type de développement après la blessure , malgré la blessure , avec la blessure . Et parmi ces mécanismes de défense , il y a plusieurs stratégies parolières qui font vivre les fantômes .

Par exemple :

· On peut trop en parler .
· On peut faire secret .
· On peut vivre dans le non-dit .
· Ou , encore, on peut côtoyer , tisser un lien avec quelqu'un qui a été traumatisé, alors qu'on ne l'a pas été .

Voilà les quatre schémas que je propose .

Trop parler . Je travaille à la Seyne/Mer, près de Toulon, où pendant la guerre de 40, il y avait beaucoup de Communistes. C'était donc le Parti des fusillés, des déportés. Il y a eu les bombardements qui ont détruit ces deux villes et énormément de gens traumatisés. J'ai eu l'occasion de discuter avec ces gens-là . Et ils sont rentrés des Camps avec la rage au cour en disant : "Mais ce n'est pas possible , je vais le dire, je vais consacrer le reste de ma vie à le dire!" Donc , ceux-là n'ont pas dénié , au contraire même ! Ils se sont "coltiné" la mort , ils l'ont affrontée dans les Camps et après les Camps , ils ont monté des Associations , ils ont milité , ils ont fait des journaux , ils n'ont parlé que de ça tous les jours ! Ils ont minutieusement noté , recueilli des témoignages , et ces gens-là se sont bien défendus parce qu'ils sont restés dans le monde des humains , grâce à cette défense bagarreuse ..

J'ai eu à soigner tous leurs enfants ! Parce que tous leurs enfants avaient hérité du traumatisme de ces pères et de ces mères qui avaient fait baigner les enfants dans leur traumatisme, qu'ils avaient constamment rendu présent par leurs représentations verbales, par leurs représentations d'images, les décors, les photos, les articles de journaux. C'est à dire que les enfants eux , avaient une double épreuve à surmonter: les hommes et les femmes qui ont été déportés ont repéré l'adversaire , ils ont eu (comme nous l'apprend Anna FREUD , il faut deux coups pour faire un trauma ) : Le 1er coup , il est porté dans le réel : "J'ai souffert, j'ai eu froid , j'ai été humilié , j'ai été mort , j'ai été tué tellement j'ai souffert." Ça , c'est le coup porté dans le réel , c'est la blessure et ça fait mal .

Mais le 2ème coup , c'est celui qui est porté dans la représentation du réel, c'est à dire: "Qu'est-ce que je me dis de ce qui m'est arrivé ? Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Mais comment le dire ? Qui va me croire ? Comment vais-je faire pour expliquer tout cela émotionnellement ? Et puis surtout, vous les "normopathes", vous allez me faire taire ! Vous allez me dire : Mais nous aussi , on a souffert ! Arrête un peu !" Et du coup , je vais penser : "Ce n'est pas la peine de leur parler , ils ne peuvent pas comprendre et je vais me taire , pas longtemps , quarante ou cinquante ans ." Donc , ça fait tout de même un morceau de vie amputé . Mais comme je vous le disais tout à l'heure , tout le monde participe au déni .

Et ces hommes et ces femmes eux , se sont bagarrés , eux se sont bien défendus ! Je pense à une patiente qui me disait : "Jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans , je n'osais pas rentrer dans ma chambre , parce que mon père nous parlait tellement et tous les jours , de ce qui lui était arrivé, que lorsque je rentrais dans ma chambre , je regardais sous mon lit parce que je m'attendais à voir couler la graisse des cadavres!" Attendez, c'est ce qu'ont connu les déportés !

C'est à dire que cette fille-là , vivait dans la représentation verbale qu'en avait fourni son père ou sa mère. Le père blessé, traumatisé, lui, pouvait affronter, catégoriser, mettre une image, des mots, se bagarrer. Il avait bien sûr souffert, mais il avait affronté. Sa fille elle, ne savait pas d'où venait le trauma, elle éprouvait la représentation verbale que son père faisait de l'horreur et elle, elle pouvait moins se défendre et c'est ainsi qu'elle a souffert de panique anxieuse jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans.

L'autre manière , c'est de faire secret:

Alors faire secret , il y a beaucoup de gens qui ont fait des travaux magnifiques sur la fonction du secret . Et je vais passer rapidement sur ce point . Parce que ce que j'ai entendu ce matin vient confirmer qu'il n'y a pas mieux en effet pour faire un clivage . C'est à dire qu'on aura une partie de la personnalité sympathique, vivante , active et une autre partie qui vit en secret , qui souffre en secret . Et quelque chose quand même de ce clivage s'exprime (j'en reparlerai tout à l'heure .)

Le plus souvent , c'est un non-dit , c'est par l'intermédiaire d'un non-dit que passe le fantôme. C'est à dire que "J'ai été traumatisé , si vous me posez des questions, je répondrais . Mais si c'est votre confort de ne pas m'en poser , je ne prendrais pas la parole ." Ce non-dit aussi , vous modifie et transmet un fantôme aux êtres d'attachement , le conjoint et surtout les enfants , à tous ceux qui s'attachent , à tous ceux qui tissent un lien avec celui ou celle qui pratique le non-dit , non-dit qui n'est pas le secret. Parce que on rejoint le schéma que je vous ai proposé avec les communistes déportés .

Et ce qui permet un peu de défendre cette idée, c'est un travail de Rachel YEHUDA qui a été fait sur les combattants , les soldats du Vietnam . Elle a pris une population de jumeaux homozygotes qui ont combattu au Vietnam. Et il se trouve que les hasards des expéditions ont envoyé un jumeau sur deux à la guerre. Donc un jumeau a connu le réel, il a eu le trauma ; et l'autre jumeau a connu la représentation du réel et n'a pas connu le trauma . Et c'est dans la population des jumeaux qui n'avait pas connu le trauma, qu'il y a eu le plus de syndromes traumatiques parce que la représentation est plus forte que le réel .

Dans le réel , nous sommes tous ambivalents . Au moment où quelqu'un nous agresse , au moment où l'horreur arrive , on a toujours un espoir d'humanité .

Quand on va à l'enterrement de quelqu'un qu'on aime vraiment , on est réellement malheureux , on le porte en terre , on souffre et on a un vrai chagrin . Et on voit l'enfant de la cousine Berthe qu'on n'a pas vu depuis dix ans , et cet enfant est mignon, il nous réjouit . Et dans le même événement, on a le chagrin de la perte , et le plaisir de la rencontre . On est totalement ambivalent , et cette ambivalence nous protège , parce que les catégories ne sont pas pures. "Je sais qu'il y a un ennemi , je sais que j'ai été blessé, je sais qu'une partie de ma personnalité a été amputée et pourtant, l'espoir reste un peu en moi ; les ennemis ne sont pas inexorables , il y a toujours quand même une part d'humanité , même dans l'ennemi le plus sans-cour." On peut toujours espérer quelque chose, et on met donc en place un petit système de résilience et on peut quand même essayer de reprendre son développement .

Alors que le jumeau qui n'a pas été au combat , lui ne vit que dans une représentation pure. Pour lui ce n'est que l'horreur , le village en flammes; ce n'est que son frère , auquel il est très attaché , qui a probablement , à coup sûr même , assassiné à la mitraillette des enfants , des gens innocents . Il l'a fait ou il ne l'a pas fait , mais dans la représentation du jumeau qui n'a pas été au combat , ça s'est passé de cette manière . Et le fantôme est tout puissant là, c'est à dire qu'il n'y a pas ici de négociations , la catégorie est pure .

Et on voit ici le principe des artistes . Pourquoi les artistes nous émeuvent-ils tant ? Parce qu'il font des représentations condensées , que ce soit un peintre , un cinéaste , une romancière .. C'est tellement condensé qu'ils façonnent nos sentiments bien plus fort que le réel , puisque le réel est toujours flou , mal catégorisé , ambivalent . Donc , c'est pour cela aussi que la fiction a un pouvoir de conviction bien plus grand qu'une explication ou que l'expérience réelle où on a toujours un doute , une incertitude , sur les dates , sur les rencontres, alors que dans la représentation , c'est précis , c'est catégorisé , c'est bien dessiné .

C'est l'anatomie du résilient . Il a été blessé (Michèle BERTRAND propose de distinguer le trauma et le traumatisme.) et je trouve que c'est une bonne distinction . Pour parler vite , le trauma c'est le coup du réel , le traumatisme c'est la représentation du réel du coup . Voilà , c'est un schéma qui me paraît pratique pour penser . Elle dit que les résilients , c'est à dire ceux qui reprennent un type de développement après la blessure et avec la blessure, qui en font quelque chose , ils ont (Alors , je ne vais pas paraphraser les psychanalystes , je ne vais pas dire qu'ils ont une personnalité clivée ) je dirai plutôt une personnalité trouée . C'est à dire qu'ils se déplacent ainsi : "Là , je peux y aller , je suis fort . Ah non, ça je ne peux pas en parler ! Ah , là , je ne touche pas , c'est trop douloureux." Ou encore : "Moi , je peux le dire , mais elle ne peut pas l'entendre . Ou là si j'évoque cela , je n'ai pas la force d'en parler, donc , je n'en parle pas ou j'en parlerais plus tard . Je peux en parler . Si on me force , je répondrais , ce n'est pas un secret mais je n'ai pas la force d'en parler , vous ne pouvez pas l'entendre , c'est encore trop frais."

Donc ce sont des dénis en forme de trous . C'est un mécanisme de déni , ce qui fait que les enfants qui se développent au contact d'un "parent troué" , ont un parent particulier : "Mon père, je ne le comprends pas , il est gai , il travaille . Et puis , tout d'un coup , quand on parle de ça , il tire un nez de trois mètres , il ne répond pas , il se fâche ! Mais qu'est-ce qui se passe ? Je ne sais pas comment me comporter avec ce père-là ! Il est gentil puis tout d'un coup il se fâche, comment je fais avec ce père là ?"

C'est donc un parent particulier . Lui , il a "sauvé les meubles" , enfin plus ou moins , il y a quand même une blessure . Au début , je disais cicatrice , mais maintenant , je n'emploie plus ce mot , ce n'est pas une cicatrice , ça saigne toute la vie et ça contraint à la résilience toute la vie . La résilience c'est un combat qui peut être intéressant , mais qui contraint au combat . Donc la métaphore de la cicatrice n'est pas bonne .

On voit donc comment dans ces cas-là , le secret agit , parce que le fantôme est une apparition physique qui a une forme , qu'on voit , qui agit, qui déclenche un sentiment. Et le sentiment , c'est une émotion réellement éprouvée dans le corps et provoquée par une représentation . Ça peut être une représentation d'images comme dans les films sans parole, les films muets (on comprend tout dans un film muet , mais il n'y a pas un mot) , ou bien sur par une représentation verbale , un récit , un discours , une conviction , une insulte... Une insulte , c'est une représentation verbale qui va me faire rougir, pâlir , mon cour va s'accélérer , je vais être furieux , or un mot a réussi à modifier mes métabolismes . Si c'est pas la puissance des fantômes ça !!! Ces enfants-là , vont donc se développer au contact d'un père ou d'une mère trouée . Et les fantômes agissent en utilisant les choses, non des objets (je gomme chose).

Un exemple : Monsieur et Madame M. Monsieur M. est totalement impuissant et pourtant Madame M. le demande en mariage , parce qu'elle veut vivre avec un homme et ça ne l'ennuie pas que cet homme soit impuissant . Donc , ils se marient et puis, c'est difficile de faire des enfants dans ces conditions-là ! Parce que "l'artisanat de la reproduction" est quand même une chose qui marche mieux que les éprouvettes. Donc, Ils décident d'adopter. Leur expression était d'adopter une petite fille "à la sortie ." Une dame est enceinte, Ils adoptent donc une petite fille très rapidement , "à la sortie" comme ils disent, et ils décident de le cacher à la fillette: "On ne lui dira jamais qu'elle a été adoptée." La petite fille se développe avec des parents très gentils , adorables même. Et puis quelque chose se met en place dès l'âge de 6 , 8 ans , où la petite fille devient difficile. Et par quoi agit le fantôme ? Quelle est son arme ? C'est un album de photographies. Tous nos enfants jouent à la généalogie avec les albums photos: "Ça c'est le papa à qui ? Ça c'est la maman à qui?" et on lui raconte des histoires: "C'est le cousin Machin, c'est l'oncle Untel ." et on inscrit l'enfant dans sa généalogie en disant : "Tu as les mêmes mains que Tante Berthe, le même front que l'oncle Alfred ." Ces mignons petits discours, sont importants , parce qu'ils inscrivent l'enfant dans sa généalogie , dans sa filiation et dans sa famille .

Or là , qu'est ce qui se passe ? La petite fille veut jouer pour savoir d'où elle vient , qui est le papa de son papa ? La maman de sa maman ? Et , à chaque fois qu'elle prend l'album de photos, elle déclenche un comportement : Monsieur quitte la pièce , et Madame devient anxieuse . Et de scénarios comportementaux , (je dis bien scénarios) en scénarios comportementaux , l'album devient , maléfique , ensorcelé . Chaque fois que la petite fille prend l'album , il va y avoir une dispute avec sa mère adoptive , elle va déclencher une angoisse chez sa mère adoptive . Si bien que dès l'âge de 8 ans , quand la petite fille veut provoquer sa mère , elle va chercher l'album et elle est sûre de déclencher une dispute, un conflit .

Donc les fantômes, agissent par le réel des objets: c'est à dire qu'ils ont non seulement une forme , imagée ou verbale , mais ils utilisent aussi les objets pour agir sur l'autre. Ils ont une puissance physique dans le réel parce que c'est dans le réel qu'on a côtoyé la mort, c'est dans le réel que les fantômes utilisent les objets pour agir, pour transmettre leurs maléfices . Ce qui est étonnant , c'est de voir comment les blessés et leurs manières de se défendre, organisent la structure même , le développement comportemental de l'enfant. Parce que les fantomes agissent dès le début du développrement. Ces fantômes de l'âme , agissent par les comportements . Par exemple , parler modèle (Internal Working Model) , Antoine et Nicole GUEDENEY traduisent par "Modèle Interne Opérant" , moi je préfère : "Modèle Opérant Interne" , ça fait moi , ils agissent par les moi . Or ces MOI , sont des scénarios comportementaux qui permettent d'organiser un style comportemental qui agit sur l'enfant . C'est à dire que l'adulte historisé , garde dans sa mémoire une trace du traumatisme . Ou bien il en parle , c'est ce que je vous disais tout à l'heure , ou bien il se tait . Et s'il se tait , il s'y réfère quand même . Ce n'est pas parce qu'il se tait , que cela n'agit pas , au contraire même ! Comme cela a été dit ce matin , on sait bien que plus on se tait , plus on donne de sa puissance au fantôme . Et au contraire plus on partage , et plus on diminue la force du fantôme. Alors cet adulte blessé garde dans sa mémoire sa blessure et il peut très bien parler de tas de choses et se taire toujours sur l'album, sur le viol, sur l'inceste, ou les tragédies de la vie. Ce qui fait que ça organise un profil comportemental éthologiquement observable.

On voit que lorsque ces adultes-là s'adressent aux enfants , (non , plutôt aux nourrissons) et la manière de s'adresser à l'enfant, aux nourrissons de 2 à 5 mois organise le milieu sensoriel qui tutorise le développement des enfants . Par exemple Elisabeth FIVAZ , avec une méthode éthologique , a rendu observable (ce qu'on avait déjà montré avec Maurice OHAYON, il y a une trentaine d'années) que les mondes sensoriels composés par une femme , sont très différents des mondes sensoriels composés par un homme . Schématiquement , la femme, la mère standard, sourit plus, parle plus , est plus proche , mais moins motrice . Alors que le papa standard , parle moins , sourit moins , mais est beaucoup plus moteur . Et si vous voulez faire rire un bébé, il faut le lancer en l'air : c'est l'érotisme suprême! On le lance , et hop !Il fait l'avion ! Il redescend, et hop ! On le relance , il fait l'avion ! Alors là, succès assuré ! Donc les mondes sensoriels sont déjà sexualisés bien avant Odipe . Le monde des femmes n'est pas un monde d'hommes . Et ce qu'a montré récemment , Elisabeth FIVAZ , à Lausanne , c'est que dès l'âge de trois mois , les bébés anticipent le comportement qui va s'adapter à l'arrivée du père ou de la mère . Elle nous a montré des documents où on voit l'arrivée de la mère : le bébé sourit , anticipe , ouvre les bras et se laisse aller . Si le père arrive , le bébé se prépare à affronter l'événement et hop ! Il met la tête en avant et la fête commence !



 
 
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