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 Interview : Henri Guerin
ART ET PASSION
Cave et grenier de l'artiste, l'enfance est pour l'artiste la cave et le grenier de sa création dans lesquels il ne cesse de puiser pour les exhumer, tous les trésors enfouis des premières années. Dans cette cave, s'étaient déposés en fine couche, les temps d'apprentissage du corps, lorsque les sens vierges découvraient dans la violence des émois toutes choses qu'il recevait dans l'inconscience de l'être neuf et qui gravaient en lui des mémoires sans mots...

Découverte difficile qui devra construire une autonomie en faisant le deuil du paradis perdu, de la douce soie du ventre maternel, fusion dont son corps entier restera empreint et gardera à jamais la nostalgie. Ce deuil difficilement réalisé le tournera vers l'inconnu du monde, vers l'exploration de l'autre, tous les autres. L'artiste tentera par son ouvre l'impossible guérison. Il essaiera de rejoindre souvent à son insu la source cachée. Cette quête s'avère rarement féconde sans une passion tournée vers l'inconnu du monde vers les êtes et les choses qu'il interroge en son ouvre, appelant les voix qui pourraient apporter la silencieuse réponse, interrogent même les ciels où les nuages furtifs sur les eaux lumineuses se mirent. Tous objets sujets, miroirs d'un monde sensible afin qu'il ajuste et éclaire cette caverne d'ombre aux instants d'intense émotion, qu'il porte en lui comme des graines, ces parts d'enfance douloureuse ou joyeuse éparpillées en lui et qu'une solitude d'arbre en y prenant racine peut faire monter à la lumière. C'est au grenier des désirs, dans sa chambre haute que les passions s'élaborent, se distinguent des besoins élémentaires du corps, non pour les mépriser mais plutôt pour qu'ils s'apprivoisent en mémoire et que d'obscures sensations primitives ce lieu puise aux racines profondes assez de sèves pour nourrir tout un peuple de branches et de feuilles, désirs puissamment brassées au vent sensible de l'esprit. Ainsi moins enfermé en lui-même toute antenne dehors, fidèle aux battements de son cour lentement s'affine ce goût de l'absolu. Absolu déjà en éveil dès les premiers mois de vie lorsque l'enfant balbutiait le désir d'épeler à tâtons le vocable du visage maternel, s'aventurant de cercle en cercle du familier vers l'inconnu. Une conscience d'altérité se forme, l'unique peu à peu se distingue du semblable malgré les peurs, sous la ferveur de la découverte, il s'enhardit de lui-même, je devient un autre, un autre moi, un autre autre. L'art est tout entier empreint de cette évidence de la voie singulière que l'artiste creuse en lui avec passion. Sans doute sa nature douée d'égocentrisme l'aide à ramener en un faisceau serré ce qu'il concentre et distille de sa propre histoire. Il fait remonter des limbes des sensations enfouies pour produire par un ton original ce pouvoir d'éveiller l'écoute et l'attention du plus grand nombre quand, par une vision particulière, il aboutit à soulever en eux cet univers d'insignifiance qui les tenait absent au monde sensible autant qu'à leur propre origine. Entre l'enfance perdue et la naissance de l'adulte, les années d'adolescence, temps mort d'un corps inachevé encombré d'un impérieux besoin sous l'être inemployé de désirs j'ai vécu en creux, parfois en abîme d'un cour souffrant d'inexistence jusqu'à défier une misère morale par des actes aussi violent que puéril. C'est qu'alors alité plus d'un an, que ce vide a sans doute préparé l'entonnoir, lorsque dans le silence d'une chambre s'engouffrèrent toutes les passions refoulées de l'enfance. L'art par la lecture, la poésie, la musique me délivrèrent de ce vide dans une ferveur qui n'a jamais cessée depuis. Je découvrais et je le pense encore malgré mon ouvre de peintre verrier que je n'ai rien appris depuis ce temps béni quand l'enfant buvait avide à cette lumière du jour à toute heure, en toute saison, lumière de l'eau comme celle de l'air, des paysages. C'est au cours d'une longue convalescence au seuil de ma jeunesse que je pris définitivement conscience de cet amour de la lumière qui enchanta toute mon enfance. Mais par-dessus tout c'était la lumière des extrémités du jour qui me captivait alors. L'aurore fut toujours une miraculeuse rencontre à laquelle je me sentais invité ; combat d'une arche rose grandissante qu'elle menait épaule contre épaule arc-boutée sur l'ombre comme jadis Jacob lutta avec l'ange.

Les battements de mon cour s'intensifiaient à la mesure de cet événement de pourpre que l'astre à sa venue apaiserait. Je ne me rassasiais pas non plus des couchants dont le dénouement, loin de combler mon désir le portait plus loin, vers cette lueur persistante, hors d'atteinte, lumière venue d'ailleurs, toujours partie plus loin, autre part. L'enfant agité que j'étais s'immobilisait pour regarder le soir s'altérer et laisser disparaître le passage magique du bleu à l'or, fête poignante à laquelle je n'ai pu m'habituer. Ce qui semblait intensifier ces moments des confins du jour, c'est le voile d'apaisement qu'il jetait sur les paysages, villes ou nature, les réduisant à de grands mouvements d'ombre, unifiant et simplifiant notre vision, jusqu'à rendre tragique cette séparation du ciel d'avec la terre, l'un fontaine du jour, l'autre source de la nuit. Convalescent, je renaissais devant un paysage immense sur lequel la lumière oscillait sans cesse de l'aube au crépuscule, agrandissant ou réduisant les ombres des vallées ; solitaire en ma contemplation, se levait un grand désir qui s'affirmait dans une passion encore sans emploi ; je renouais avec l'enfance perdue. J'ai tenté de reprendre ce dialogue dans mon ouvre de verrier. Dans les vitraux, l'ombre des joints charpente la lumière des verres assemblés. Je travaille les verres en de grands rapports de valeurs, la couleur sombre ou claire, apaisée ou bien vive, se met au service de ces valeurs d'ombre ou de lumière. Chaque vitrail, chaque nouveau chantier s'ouvre comme une aventure. Aucune garantie ne peut m'assurer que j'évaluerai à l'origine de l'ouvrage la juste lumière inscrite dans l'interrogation béante des fenêtres. J'espère à la pose, justifier la nécessité d'un voile plus que d'un écran qui ferait regretter la belle lumière effacée d'un vrai paysage. En ce lieu, apaisé, je parvenais à moins haïr mon adolescence, me rappelant que si elle m'avait fait perdre ce goût de la lumière, elle avait souvent entraîné ma détresse et mon angoisse sous l'ombre protectrice des forêts. J'aimais les arbres et mon ouvre en est toujours le témoin. Près d'eux, par les nuits exaltées de pleines lunes, une lumière lointaine m'atteignait à travers les feuillages. Je me souviens que cette lueur me consolait alors d'une perte que je croyais définitive. Mes désirs s'ordonnèrent vers un même élan; Je découvrais le monde, il devenait malléable, il naissait sur mes cahiers à dessin, actes écrits de gestes de plus en plus précis. Je prenais conscience d'une voie possible, un petit chemin s'ouvrait à l'espérance de naître à soi-même ³Guillaume, Guillaume, il était temps que tu viennes chante Apollinaire dans ce poème de la vocation. L'art n'est pas une biographie de l'homme artiste. Sous l'artiste, l'homme des passions nourrit une progéniture pour son art. Une macération produit une délivrance des inconscients - l'artiste redoute le psy qui introduirait du rationnel au mystère, il dériverait l'énergie secrète s'écoulant dans l'ouvre -. Je me souviens de certaines lectures d'auteurs aimés comme Dostoïevski, Proust ou Rilke, allant jusqu'à Nathalie Sarraute, lorsqu'au fil des pages, un passage me soulevait d'un vif enthousiasme. Je découvrais noir sur blanc quelque chose d'obscurément caché en moi , je m'écriais ³oui, c'est ça, c'est bien ça !. Il me semblait que cette découverte à laquelle j'adhérais de tout mon être, me changeait jusqu'à ne plus être tout à fait le même en refermant le livre. J'en étais modifié à jamais par cet accroissement, comme la vitalité de l'arbre en de minuscules poussées ne cesse d'étendre son feuillage. Ainsi, les désirs et les passions de l'écrivain, de l'artiste se révèlent mieux lorsque ces désirs et ces passions dans l'ouvre sont maîtrisées, assujetties à une forme qui les canalise et leur donne sens. Ils se détachent de la source originelle et prennent la distance pour d'autres yeux, d'autres oreilles se laissent mieux saisir. Moins impliqué que l'auteur, le lecteur ou le spectateur refait de l'extérieur ce chemin vers l'intérieur de l'ouvre par cette distance symbolique créée volontairement par l'artiste. Ce détour permet la libre identification de l'interprète que devient celui qui lit ou regarde l'ouvre. Ce chemin inverse permet à travers le voile des passions jetées sur l'ouvre de rejoindre l'expérience unique de la source émettrice, la vie profonde d'un homme transmuée par l'art. Loin d'une thèse, c'est une liberté offerte, une invitation permanente qui se livre en cette ouvre.


 
 
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