Le cadre freudien évoque un
modèle particulier de symbolisation, celui du travail du rêve. En effet, la
position allongée sur le divan inhibe la motricité; le décor physique, neutre
et constant, décourage la stimulation perceptuelle et sensorielle; la position
effacée de l’analyste, installé derrière le divan, rappelle l’absence de
l’objet. Tout est en place pour que les activités motrices soient transformées
en images visuelles (en représentations de chose, selon le modèle du rêve rêvé),
puis que ces images visuelles soient traduites en mots (en représentations de
mots, selon le modèle du rêve narré); en fait, tout est en place pour
favoriser le retour du refoulé, pour que, selon l’expression freudienne,
"où était le Ça, le Moi advienne".
Le cadre freudien prend
donc pour acquis que le patient souffre uniquement de traumatismes liés à des
conflits qui ont été symbolisés, puis refoulés, donc qui sont survenus à un
âge -ou dans un état psychique- où ils pouvaient être transformés en
symboles et se retrouver dans l’inconscient sous forme de représentations de
chose. Le patient souffrirait donc, par le refoulement, de ne pas pouvoir se
formuler à lui-même ce qu’il veut, ce qui l’habite, et qu’il avait déjà
symbolisé. Notons que cette position repose sur une vision du fonctionnement
psychique basée uniquement sur le primat du principe de plaisir selon lequel le
patient se serait déjà fait une représentation de son désir conflictuel et
l’aurait refoulée pour la mieux conserver (Roussillon, 1994). D’autre part,
le cadre freudien impose au patient le transfert de son fonctionnement psychique
dans le seul appareil du langage. Or, cette restriction est contraire à la vie
quotidienne où, pour fonctionner, nous avons recours à différents canaux
d’expression : moteur, visuel, vocal, en plus du langage. Elle est contraire,
aussi, aux racines du travail de symbolisation qui provient du jeu moteur, vocal
et visuel effectué en présence de l’objet et non en son absence.
Bref, le modèle
freudien, pour cohérent qu’il soit, repose sur une conception particulière
de la psychopathologie et de la symbolisation : il suppose que le patient a pu
faire un "assez bon" travail préalable de symbolisation primaire -de
représentation de chose- sur ses expériences personnelles. Or, les patients ne
fonctionnent pas tous selon ce modèle de symbolisation. Au contraire, -et ce,
en accord avec les données ci-haut citées sur la culture et le fonctionnement
individuel postmodernes- de plus en plus de personnes fonctionnent, de façon prévalante,
selon d’autres modes de symbolisation, ou selon le primat, non du principe de
plaisir, mais de la compulsion de répétition.
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