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 Interview : Miguel Benasayag
"La fragilité"                                                                                       
et "l'amour n'est jamais du coté de l'ordre"

Présentation de  l'éditeur de "la fragilité" de Miguel Benasayag

Nos sociétés connaissent un moment caractérisé, entre autres, par la " séparation " : nous sommes séparés de notre puissance d'agir, nous ne trouvons plus les passerelles entre nos souhaits et nos pratiques. Sortir du fatalisme ambiant, construire une pensée de l'agir : telle est la voie qu'explore ce livre stimulant, où Miguel Benasayag s'interroge sur les moyens de dépasser la séparation. Et de sortir de cette constellation où les humains se vivent comme des sujets séparés à jamais du monde " objet ", sur lequel, vainement, ils prétendent " agir ". Mobilisant notamment les apports récents de la neurophysiologie de la perception, il s'efforce de construire les bases d'une pensée de la décision. 

Les hommes se croient libres, dit Spinoza, du fait qu'ils ignorent leurs chaînes. Mais connaître nos déterminations, c'est ce qui nous permet, en partie, de sortir de cette liberté imaginaire et impuissante, pour accéder à une position où le destin n'est plus l'ennemi de la liberté. Loin de l'" homme ingénieur ", cette figure de l'humain qui conçoit un modèle et tente de l'appliquer au monde, ce n'est qu'à partir d'une pensée située, d'une pensée des corps, que nous commençons à dépasser la virtualisation de la vie. La fragilité est ainsi la condition de l'existence : nous ne sommes pas convoqués au lien, ni avec les autres ni avec l'environnement, nous sommes liés, ontologiquement liés. La fragilité, condition même de l'existence, est ce qui nous rappelle ces liens avec le tout substantiel dont nous sommes porteurs, mais aussi avec ce que notre époque oublie, la longue durée des phénomènes sociaux. Assumer cette fragilité est le défi de tout un chacun. 

Le renouveau démocratique s'exprime à travers une myriade d'initiatives, sociales et civiques, qui tentent de construire une alternative au système. Pour Miguel Benasayag, ce qui est parfois perçu comme une faiblesse de ces mouvements - le refus de la conquête du pouvoir et d'un modèle conçu a priori , constituent en réalité leur meilleur atout. 

 
"Sans pouvoir ni modèle", un entretien avec Miguel Benasayag* 

Place Publique : Dans votre livre Du contre-pouvoir, vous mettez en lumière la nouvelle radicalité portée par les mouvements civiques et sociaux. En quoi consiste-t-elle ?

Miguel Benasayag : Avec Diego Sztulwark, nous voyons dans l'entrée en scène du mouvement zapatiste au Chiapas (Mexique) le point de départ de l'émergence d'une nouvelle radicalité. Les zapatistes renouent avec un discours et des pratiques alternatifs : ils ne se contentent plus de dénoncer les excès du système mais affirment que la société de l'argent et du profit peut et doit être dépassée. Dans les années qui suivent, les mouvements qui se développent en France et en Europe - pour les sans-papiers, les sans-logis, les chômeurs… -, au-delà des revendications immédiates, participent de la même volonté de bâtir une alternative à la marchandisation du monde. Aux quatre coins du monde émergent des expériences de lutte qui cherchent les voies d'une nouvelle émancipation. Cette contre-offensive se situe en rupture avec les méthodes des groupes politiques traditionnels : elle excentre, sans la nier, la question du pouvoir et refuse l'idée d'un modèle anticipateur défini a priori… Les vieux habits de la militance "contre" sont abandonnés au profit de la quête de modes de vie et de pratiques alternatifs : il s'agit de dépasser en actes, dans la vie de tous les jours, l'individualisme du système. Il s'agit, à travers des solidarités en situation, de construire l'émancipation ici et maintenant. 

Place Publique: En quoi ces nouveaux mouvements laissent-ils de côté la question du pouvoir ?


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