A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

L'enfant abandonné

L’enfant abandonné. Guide de traitement des troubles de l’attachement, 
de Niels Peter Rygaard,  

Editions De Boeck-Wesmael, Bruxelles, 2005

    Les compétences sociales et émotionnelles d’un enfant se construisent lors des premières années de l’attachement. Pour 3 à 5 % des enfants cependant, ce processus est perturbé par des carences précoces, des parents dysfonctionnels, un manque de soins.

    Les problèmes des jeunes qui souffrent de troubles graves de l’attachement sont nombreux : manque d'adaptation sociale, relations brèves et superficielles, comportement agressifs, violents et criminels, maltraitance envers les autres et perturbations de la vie familiale, etc.

    Niels Peter Rygaard, auteur de ce guide de thérapie, travaille depuis 25 ans avec des jeunes souffrant de troubles graves de l’attachement, ainsi qu’avec leurs familles. Il envisage le développement de l'enfant – de sa conception à l'adolescence - à la fois sur le plan théorique et sur le plan pratique. Il propose des listes de symptômes aux différents stades de développement, des profils de tests compréhensibles et des conseils de traitement faciles à mettre en oeuvre.

    Cet ouvrage est destiné principalement aux psychologues, pédopsychiatres et psychothérapeutes. Il s’adresse également aux éducateurs et intervenants sociaux, de même qu’aux parents, enseignants et familles d’accueil.

Nous invitons également les personnes intéressées à consulter le site de Niels Peter Rygaard :
www.attachment-disorder.net


 Présentation par Rémy Puyuelo qui en a écrit la préface

Le livre de Niels Rygaard m’a confronté à un certain nombre de difficultés qui se sont révélées passionnantes et enrichissantes.
Il est toujours difficile d’abandonner ses présupposés théoriques pour écouter et ressentir ce dont témoigne un autre. Il est toujours difficile d’abandonner une certaine culture propre à son pays d’origine pour saisir ce que l’autre a à dire. Mais si nous mettons en jeu notre capacité à nous abandonner, de nouveaux horizons prennent alors forme et sens. C’est de notre détresse originelle que surgissent pensée et créativité. Mettons-nous donc en disponibilité de trouvaille. André Breton, dans L’amour fou, appelle la trouvaille « ce merveilleux précipité du désir. Elle seule a le pouvoir d’agrandir l’univers, de faire revenir partiellement sur son opacité, de nous découvrir en lui des capacités de recel extraordinaire, proportionnées aux besoins innombrables de l’esprit ».


Mais « s’abandonner » nécessite certains préalables. On ne peut pas tout quitter en soi pour écouter l’autre. Il faut un fond commun partagé. Ce que l’on partage avec Niels Rygaard est sa vraie rencontre avec des enfants et des adolescents attachés. Sa longue expérience, son éthique au service de l’enfance est toujours chargée de sens. Il évite le piège de classifications psychopathologiques trop strictes et nous permet de vivre, ressentir, appréhender les comportements d’attachement. Il se réfère aux travaux de John Bowlby (1969-1978) qui indiquent que le système de comportement d’attachement se développe dans un but d’augmenter les chances de protection et de survie du nourrisson. Cette protection est basée essentiellement sur la proximité physique et le contact entre la mère et le bébé pendant les premières années. L’attachement de base est une matrice qui amène non à un détachement mais à un travail de transformation psychique. Les troubles précoces sévères de l’attachement figent le sujet en devenir dans un attachement symbiotique qui se traduit par des troubles du comportement et du caractère. J’appelle ces enfants les enfants attachés. Le titre de l’ouvrage de Niels Rygaard témoigne d’une certaine paradoxalité très pertinente contenue dans « l’enfant abandonné » et « l’enfant attaché ».


Ces enfants, en effet, ont une tendance permanente à résoudre tout conflit intrapsychique par des actes souvent hétéro- ou/et auto-agressifs au détriment de toute élaboration mentale. Ils vivent de rupture plus que de séparation. Ils tissent avec eux, leur famille et leur environnement, des relations qui les empêchent d’exister en tant que sujet séparé et pensant. Ils sont donc paradoxalement attachés et abandonnés. Leur abord est un défi permanent qui empêche le plus souvent une prise en compte psychothérapique individuelle.

Pour ma part, avec mes outils théoriques je les appelle « abusés narcissiques ». Ce sont des enfants et adolescents qui très précocement ont subi des carences et des blessures narcissiques qui ont empiété leur psychisme en devenir et qui maintiennent grâce à des mécanismes de survie une cohésion identitaire précaire. Ces enfants ni psychotiques, ni névrotiques, sans latence, ne sont enfants et adolescents que par label social.
Ils présentent une identité négative définie par le social, par le spatial (incasables)… En fait, ils présentent une inorganisation psychique organisante et survivent dans une compulsion à rompre par incapacité à la subjectivation. Leur biographie événementielle est à la fois un mode de vie et une continuité dans la répétition. Ils sont toxicos de la réalité extérieure, contraints à l’activité qui est en fait une passivité imposée. La passivité implique le pouvoir de l’objet sur le sujet. La nécessité de toute-puissance est ici un contre-investissement de la détresse primaire. La sensori-motricité venant contre-investir un monde interne où domine l’hallucinatoire sur les représentations. Ceci n’empêche pas ces sujets de présenter des îlots clivés organisés psychiquement sur lesquels ils peuvent s’appuyer, mais cela dans des contextes environnementaux et affectifs spécifiques et limités. Notre acte de déplacement ou plutôt de placement est en fait paradoxal. Il indique notre souci de placer l’enfant, de le reconnaître sujet spatialement, l’enfant nous l’impose, bien souvent, par son comportement et il échoue parce que justement l’enfant n’a pas les moyens psychiques d’élaborer ce processus d’individuation. Alors quel cadre mettre en place, spatial, temporel, psychique, qui puisse le reconnaître et le comprendre, amorce d’un sentiment d’apparentement au monde sans pour autant s’imposer comme objet face à un sujet qui justement ne peut assumer sa situation de sujet ? En fait comment sortir d’une dynamique spatiale et psychique du jeu dedans-dehors ? Les impasses de nos rencontres avec ces enfants nécessitent de faire feu de tout bois sur la scène du social, c’est-à-dire là où il nous « attendent ».

Dès l’introduction, Niels Rygaard centre le sujet de son livre autour des troubles de l’attachement sévère et il énonce « qu’il est aussi important de comprendre que ces enfants sont des enfants normaux dont le comportement anormal est dû à un environnement précoce anormal ».
Dans la première partie de son ouvrage, de façon complète et rigoureuse, allant de la neurologie à la psychopathologie et aux problèmes de société, de la conception à l’adolescence, il dresse un tableau exhaustif du développement de l’enfant étayé par de nombreuses vignettes cliniques. J’ai été très sensible à sa façon de libérer le lecteur d’une charge émotionnelle qui l’empêcherait de saisir la complexité de l’enfant attaché et les hypothèses théoriques qu’il propose.

La deuxième partie est consacrée à ce qu’il appelle la thérapie du milieu où, reprenant les différents stades du développement de l’enfant, il propose de véritables postures thérapeutiques tant dans la quotidienneté de l’enfant que dans le milieu scolaire, en famille, famille d’accueil et institution. Ces postures éducatives sont autant de façons de se placer face à l’enfant afin de le reconnaître dans une tentative continue d’une disponibilité à la rencontre. J’ai apprécié particulièrement l’abord original qu’il propose des abus sexuels dans le chapitre 13. Ses conseils comportementaux ne nous sont pas imposés. Ils sont des préalables, des mises en place temporelle, spatiale, psychique, permettant d’éviter les deux écueils de notre rencontre avec les enfants attachés, celui de « nous prendre la tête » et de nous empêcher de penser librement et celui de nous mettre dans une situation de complicité psychique, toutes deux témoins de leur défaut d’individuation. Cette deuxième partie me paraît fondamentale pour amener les parents, les parents adoptifs, les familles d’accueil, à penser l’enfant non pas seulement dans ses comportements mais dans sa capacité à être…
Nous ne pouvons qu’être en accord avec cette culture du soin qui nous est proposée, qui nous fait soigneur avant que d’être soignant.

La troisième partie du livre intéresse plus particulièrement les éducateurs qui travaillent en institution. Les recommandations de Niels Rygaard s’inscrivent dans des cadres affectifs, physique et social, clairs et précis, du milieu thérapeutique. Elles visent à accommoder la distance entre l’éducateur et l’enfant, véritable préoccupation continue au service de la croissance psychique. L’auteur propose de façon très originale des médiations dynamiques et séparatrices et des outils-tiers pour le développement du travail en équipe. C’est un véritable vivier d’idées issues d’un travail collectif institutionnel ancien où se croisent supervision individuelle, supervision mutuelle… mettant en comportement et en scène les « parties attachées » de tout un chacun, ici des éducateurs, et ceci de façon non infantilisante dans une reconnaissance mutuelle et un respect de chacun.
Les troubles de l’attachement ne sont pas spécifiques à un type de population donnée. Nous sommes tous, plus ou moins, des êtres attachés qui tentent d’accéder à « être ensemble séparément » pris entre une solitude qui nous habite et une tentative continue de recherche de l’autre, cicatrices de notre détresse originelle (Hilflosigkeit de S. Freud). Comment déjouer et jouer avec nos « parties attachées » dans un mouvement d’apparentement à l’hu-main où l’enjeu est non de rompre l’attachement mais d’amener ces enfants et adolescents trop sévèrement attachés symbiotiquement à un travail de deuil pour se vivre comme des personnes reconnues et séparées capables de penser librement et d’entretenir des sentiments d’amour, de haine et de tendresse avec le genre humain ? Quel beau projet où je rejoins l’humilité stimulante de Niels Rygaard : « Dans cette tâche la plus complexe de toutes – travailler avec d’autres humains – il n’y a pas de vérités ni de méthodes absolues. Mon objectif a été celui d’un guide et un guide n’est qu’un étudiant curieux de plus. La seule qualification d’un guide est qu’il était là avant et qu’il a construit une carte du territoire, bien qu’incomplète. J’espère que cette carte s’avérera utile lors de votre voyage vers la compréhension des mystères de l’attachement et de ses compagnons, les troubles de l’attachement. »
De l’errance à l’itinérance, laissons-nous guider par Niels Rygaard dans ce voyage novateur et invigorant.
Rémy Puyuelo 

source http://www.cairn.be/article.php?ID_REVUE=EMPA&ID_NUMPUBLIE=EMPA_059&ID_ARTICLE=EMPA_059_0204



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