A la Rencontre des idées et des pratiques en psychologie et psychanalyse

Joyce AÏN

Interview : Joyce AÏN
Sortie du livre: "Résonances, entre corps et psyché"
L'idée de départ du livre Résonances comme du carrefour dont il rend compte est (comme pour toutes les manifestations organisées par l'Association CarMed) issue de la rencontre avec des patients qui présentent de plus en plus souvent des troubles psychosomatiques ou sexuels, des personnes en souffrance profonde dans leur être. Cet ouvrage est donc dans le prolongement de celui sur les Souffrances qui (avec plusieurs Membres du Groupe Toulousain de la SPP) posait déjà en 1992, la question du sens du symptôme. La médecine psychosomatique représente en effet, l'un des grands progrès du siècle, dans le champ médical. Mais si les maladies psychosomatiques n'ont pas livré tous leurs secrets, il n'est plus possible aujourd'hui de parler de psychosomatique comme on le faisait encore il y a cinquante ans. Ce livre essaye donc de faire le point sur ces questions. Joyce AÏN, dans son introduction, retient, des différents sens du mot « résonance », celui d’empathie développé au Carrefour précédent par Didier Houzel. Elle rend aussi un hommage à ses patients. 

Si l’on retrouve dans le texte de Jeanne Pourrinet, «C’est avec son corps que le bébé pense… », la notion de stades, reproche biologisant fait à Freud, il est possible de se rendre compte qu’ils peuvent être non pas seulement dans un mouvement fixé et développemental mais aussi fluctuant et souple, au rythme des attentions de l’environnement, en premier lieu la mère, tout aussitôt l’imago paternelle dans la mère et le père dans sa réalité externe, au rythme de l’activité du bébé, dans son appel à leur attention, dans sa capacité à se reposer d’eux dans une activité hallucinatoire puis fantasmatique, dans sa possibilité à parvenir à « se sentir seul en présence de l’objet ».

Bernard Golse, qui se plaît à dire que le bébé est poète, théoricien et historien, nous prévient dans «Du corps à la pensée » du nouveau clivage qui nous guette, entre synchronie (privilégier l’observation de l’instant) et diachronie (au détriment de l’histoire).Il nous fait ressentir tout au long de sa conférence que le bébé a apporté de « la chair et de l’os » dans certains modèles psychanalytiques : la participation des cinq sens dans la mise en place de l’appareil psychique, l’image motrice comme pensée, le mouvement et la pensée comme une seule et même chose, l’intrication de la contenance et de la limite dans du corps à corps, de l’émotion pour passer de l’attachement à l’intersubjectivité puis des relations plus triangulées. Il anime la métapsychologie du « smack » : « travail du dedans et du dehors, d’intrication du oui et du non, travail d’accès à l’ambivalence ».

Marie-Lise Roux, avec « Le statut du corps dans la psyché » nous rappelle que la pensée orientale conçoit le corps et la psyché comme une unité indissoluble, que la pensée occidentale avec Platon puis avec Descartes insiste sur le dualisme. Elle nous dit de façon remarquable la sensation émise par le soma et la perception qui a acquis « le caractère de figurabilité et de représentation » grâce « au tiers que représente le corps maternel ». Elle développe la nécessité de l’homéostasie nécessaire à la vie psychique : résultat «d’une adaptation mutuelle du bébé et de son environnement » tout autant dans la nécessité de la satisfaction que dan l’acquisition du principe de plaisir-déplaisir. Nous comprenons, ainsi que l’a dit Freud, que « le Moi est la projection d’une surface corporelle », un espace peut se constituer et permettre l’élaboration du pare-excitation. Elle tient à l’expression « somato-psychique » dans la double perspective « d’une unité de base scindée par la rencontre avec l’objet… puis retrouvant son unité de base par le travail des tendances libidinales et agressives ».

Christophe Dejours avec «Le corps entre séduction et clivage » nous fait entrer dans une métapsychologie rigoureuse et éclairante. La notion de subversion libidinale désigne un processus conduisant du corps physiologique au corps érogène. Grâce à l’étayage, le désir prévaut sur le besoin, la pulsion sur l’instinct. Le processus résulte d’un dialogue autour du corps et de ses fonctions qui prend appui sur les soins corporels prodigués par l’adulte. Et la façon dont l’adulte accompagne les sollicitations de l’enfant à jouer avec le corps dépend de la capacité de l’adulte à jouer. S’il surcharge l’appareil psychique de l’enfant, il provoque en lui une rupture dans la capacité de pensée et développe ainsi des zones exclues de la subversion libidinale, des zones qui ne pourront pas participer à l’ « agir expressif » c’est-à-dire en capacité de provoquer chez l’autre émotion, désir, peur. Ce résidu instinctuel de l’attachement, relation d’emprise, se constitue sans recours au refoulement, inconscient non pensable, « inconscient amential ». C’est la troisième topique avec la juxtaposition de deux inconscients différents dans leur fonctionnement et clivés. Freud aborde le clivage dans la psychose à partir de la réalité extérieure malmenée par le délire. Le clivage de la troisième topique marque une défection de la perception de soi : angoisse du vide, perte de la capacité de sentir, c’est-à-dire perte de la perception de la réalité interne.

Lin Grimaud, à propos de « L’enfant qui endommage sa généalogie » avec la psychothérapie d'un enfant aveugle de naissance précise que « la clinique du handicap attire l’attention sur les connexions dynamiques existant entre corps vécu, transmissions générationnelles, intersubjectivité familiale et probablement intersubjectivé sociétale ». Il déploie un point de vue important, dans la psychothérapie de l’enfant, sur l’attention portée au passage de la sensorialité à la symbolisation, au transfert négatif et contre-transfert. Comment un enfant peut-il aborder les difficultés psychiques que sa naissance, plus exactement que l'annonce de son handicap, a entraîné pour ses parents, les membres de sa fratrie et toute sa parenté? Mais il tient compte aussi de la réflexion concomitante de l’équipe institutionnelle pour qu’elle puisse, plutôt que prendre des positions critiques ou des mesures de rétorsion, faire place à une présence psychique vivante et créative. Il s’agit ainsi de recevoir et contenir les projections, tant corporelles qu’affectives, de l’enfant et de sa famille et de leur apporter une capacité de transformation qui permettra la subjectivation. 

David Le Breton s’exprime sur « Le recours au corps en situation de souffrance chez les jeunes générations ». Les conduites à risques ont pour origine l’indifférence familiale, la surprotection maternelle et la disqualification paternelle. Elles sont défaillances de la parole, quête de limite et de sens. « L’entame corporelle est trace extérieure d’une intériorité qui paraît comme un gouffre… Au lieu de pouvoir exprimer sa détresse à l’environnement, l’individu la retourne contre lui-même ». Les conduites à risque fonctionnent à l’inverse des rites de passage, souvent accompagnés de signes corporels, qui existent dans des sociétés traditionnelles étudiées par l’ethnologie. Les premières sont refus de l’accès au symbolique, les secondes permettent l’accès à la communauté des adultes, marquant la différence des sexes et des générations.

Jacques Birouste, nous parle avec grand talent « De la poussée sexuelle à l’élan amoureux ». Du sens propre de « résonances » à la dynamique érotique, il maintient notre attention. Nous rappelant que résonances revient à la transmission des ondes sonores, honorant Toulouse, ses avions et fusées, il nous dit que les oscillations des périodes rythmiques risqueraient le surgissement d’une force brutale si leur démultiplication, leur augmentation n’étaient couplées à des amortisseurs. Il reprend à partir de Dumézil « la triade capitoline » Zeus et l’énergie libre, Mars et la transformation de l’énergie libre en énergie liée : force, résultant de l’affrontement avec le réel, enfin Romulus et Rémus, notre humanité avec ses dimensions sacrée et animale. Du plaisir sexuel, narcissique, homéostasie du sujet à l’acte sexuel, ouverture vers l’augmentation et la résonance, « l’amortisseur » aurait-il à voir avec le « numineux », le terrifiant ou le salvateur, ou avec la confiance dans une qualité sublimatoire partagée avec le partenaire ?

Philippe Brenot par son titre « Qu’est-ce que le sexe ? Qu’est-ce que l’amour » questionne aussi le lien entre le sexe et l’amour. Les mots ont évolué, les représentations aussi mais il ne s’agit pas d’un sujet comme les autres. « Le sexe est désir mais également biopsychologie, sociologie, historicité ». La sexualité est construite et non naturelle. De l’amour, nous retiendrons sa dimension affective, sensuelle, sexuelle. La sexologie est organisée autour du symptôme et du couple, l’équilibre sexuel et affectif étant partie prenante de la santé psychique de l’individu. Le « système couple » n’est pas naturel et « le couple séquentiel avec la même personne » rejoint sans doute ce qu’il dit de l’érotisme : « il consiste essentiellement à comprendre, susciter et entretenir le désir du partenaire, c’est-à-dire comprendre l’autre dans son altérité pour permettre que s’installe et se maintienne le désir dans le couple », se souvenant pourtant qu’il restera toujours une part de représentation inaccessible : la part de l’autre sexe.

Gérard Pirlot enfin nous enrichit de sa connaissance de « L’adolescent d’aujourd’hui entre « pression » excitationnelle et dé-pression (du) symbolique ». L’adolescent, aux prises avec la poussée pulsionnelle, peut exprimer corporellement son mal être psychique. Il peut avoir recours à un « surinvestissement des appareils sensoriels, sensitifs et organiques » comme dans la pensée opératoire. Il peut avoir recours à une contention par les sensations comparables à celle de l’enfant autiste. Il peut utiliser l’excitation comme l’enfant hyperactif qui contrecarre ainsi la dépression. C’est ce mécanisme qu’on voit dans les addictions, le piercing et les blessures corporelles. La pensée ne s’étant pas constituée en pare-excitation, l’adolescent utilise son corps pour mettre ainsi une limite au débordement excitationnel. Le déni de la fonction symbolique du père, de l’altérité et de la castration symbolique fait retour dans le visible des chaînes, pics, bracelets, « mutilations autocontrôlées ». La scarification est une façon « d’avoir la mère » pour éviter la déréliction, faute d’un travail d’intériorisation. En d’autres termes, le contexte de prévalence de "l’économique" dans le "corps social" entretient largement celle de l’"économique" dans le "corps psychique" lui-même.

La présence dans ce livre d'auteurs aux approches si différenciées est un indicateur que le débat est toujours ouvert sur la question du sens des pathologies somatiques, voire sur la signification symbolique du symptome somatique.


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