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 La résilience
Boris Cyrulnik
"Plongée dans l'univers de la Résilience"

Source http//radio-canada
par Isabelle Taubes pour Psychologie

Plongée dans l’univers des résilients

Si vous écoutez assez souvent cette émission, vous savez que la résilience est un des sujets que j’aime beaucoup aborder. Il me semble que c’est important de parler de ces êtres qui sont capables de surmonter des épreuves avec courage, avec audace, avec créativité, avec adaptabilité, etc. En tout cas, ce sont des gens qui ne vont pas sombrer dans la victimite. Ce sont deux sujets opposés, conflictuels, complémentaires,  dont j’aime bien traiter de temps en temps. Je l’ai fait à propos de la publication des ouvrages de Boris Cyrulnik qui est, me semble-t-il, le penseur le plus cité, avec Edgar Morin, dans l’émission Par 4 chemins, au cours des dernières années

Au moment où je l’ai interviewé, la première fois, Boris Cyrulnik venait de publier un ouvrage intitulé Un merveilleux malheur, qui fut suivi d’un autre qui a paru aux Éditions Odile Jacob sous le titre " Les vilains petits canards", dans lequel il examine de plus près le cas très intéressant d’individus, surtout des jeunes, qui se sont tirés de situations très difficiles de la vie. Des ouvrages comme ceux-là nous familiarisent avec le concept de la résilience; et lorsqu’on en comprend le processus, on arrive à éveiller chez soi une capacité de rebondir face à toutes les situations qui se présentent. 

La résilience : recherches et définitions

Je vous en ai parlé il y a quelques années sans mentionner que des équipes américaines avaient, elles aussi, travaillé sur cette question. Une auditrice a communiqué avec moi très gentiment pour me le faire remarquer. En effet, des études en ce domaine ont débuté aux États-Unis, dans les années 90, sous l’influence de deux psychiatres spécialisés dans le domaine de la petite enfance : Emmy Warner et John Bowlby. Au Québec, il y a, en particulier, le docteur Michel Lemay qui est le chef de file des études sur la résilience.

" En France, nous dit Isabelle Taubes, Boris Cyrulnik a été le premier à s’y atteler. Dans son Un merveilleux malheur, il s’interrogeait sur les processus de réparation de soi inventé par les rescapés de l’horreur. Dans Les vilains petits canards, il nous montre comment ces processus se mettent en place dès les premiers jours de la vie et permettent de se reconstruire après la blessure. "

Boris Cyrulnik explique l’origine du terme " résilience " :

" C’est l’attitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. Ce terme est souvent employé par les sous-mariniers, car il vient de la physique. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. " Si on prend, par exemple, une mince lame de fer et qu’on la plie, dès qu’on n’y touche plus, elle reprend peu à peu sa forme initiale. La résilience consiste donc à s’adapter en dépit de... Le courage, malgré tout 
" Face aux traumatismes, note Isabelle Taubes, certains s’en tirent mieux que d’autres. Ils vivent, rient, aiment, travaillent, créent, alors que les épreuves qu’ils ont traversées auraient logiquement dû les terrasser. " 

Par quel miracle ? Eh bien, c’est justement ça, l’énigme de la résilience.

" Être créateur, dit Boris Cyrulnik, c’est installer dans le monde quelque chose qui n’y était pas avant nous. Donc, pour l’être, il convient d’être un peu marginal..."

Traits psychologiques et caractéristiques des résilients

" On a le sentiment que ce terme ne s’applique qu’aux traumatisés profonds. Mais ne concerne-t-il pas chacun de nous? ", lui demande-t-on. 
" Les deux sont vrais. Je pense qu’on ne peut parler de traumatisme – et d’évolution résiliente – que si l’on a côtoyé la mort, si l’on a été agressé par la vie ou par les autres, ou encore si les personnes de notre entourage ont été en danger. Mais les processus qui permettent de reprendre son développement après un coup du sort nous concernent tous, car ils obligent à penser la vie en termes de devenir, d’évolution. D’ailleurs, environ une personne sur deux subit un traumatisme au cours de son existence, qu’il s’agisse d’un inceste, d’un viol, de la perte d’un être cher, d’une maladie grave ou d’une guerre. " Autant de justifications à voir se multiplier les victimes. mais ce qui nous intéresse en particulier, ce sont plutôt ceux qui ne vont pas se percevoir et se comporter en victimes.

" Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce problème? "

Boris Cyrulnik : " La vrai question est plutôt : pourquoi suis-je devenu psychiatre, répond-il. Enfant, en pensant à toutes les horreurs, à toutes les tragédies humaines, je me suis demandé : ‘ Comment de telles choses sont-elles possibles? Comment peut-on s’en sortir? Comment agir pour que ça ne se reproduise plus? Comment aider ceux qui ont souffert, ceux qui souffrent? ’ C’est pour répondre à ces interrogations qu’à l’âge de 10 ans, j’ai décidé de devenir psychiatre. Si j’avais été plus équilibré, je n’aurais jamais fait d’études de médecine et, a fortiori, de psychiatrie. " [rires] Car il s’agit d’abord de se guérir... Ça devient très évident dans le cas de Boris Cyrulnik quand on connaît son vécu, même s’il ne s’étend pas sur cette question : c’est un enfant qui a eu une enfance terriblement difficile, sur le bord des camps de concentration, etc. Il aurait pu s’écraser et devenir une vadrouille mais il s’est relevé et s’est pris en main. 

" Quels sont les facteurs qui favorisent une évolution résiliente? " 

Boris Cyrulnik : " On en repère trois principaux : le tempérament de l’enfant – on naît avec le tempérament, comme vous le savez –, le milieu affectif dans lequel il baigne au cours des premières années, un environnement soutenant ou non. Statistiquement, un enfant au tempérament souple, confiant, capable d’aller chercher de l’aide à l’extérieur est mieux armé, estime-t-il. Or, ce rapport au monde dépend étroitement du climat familial : des parents qui s’entendent bien, une mère rendue heureuse par son homme, par sa vie, et qui va créer autour du bébé une ambiance de fête sensorielle et rythmée. À l’âge de 10 mois environ, l’enfant apprend une certaine manière de se faire aimer : par des sourires, en babillant, en cherchant les regards et les paroles des adultes.

La réponse des adultes créera un attachement sécure. Aussi, même s’il arrive malheur à sa mère, le petit aura acquis un mode de conquête de l’autre. – Cela part donc de la sécurité que lui apporte la mère et qui fait que l’enfant découvre qu’il a un pouvoir sur les autres. Par la suite, s’il n’a plus sa mère pour le lui rappeler, il garde encore ce pli, si je puis dire, puisqu’il a acquis un mode de conquête de l’autre. – Enfin, dernier facteur : la présence d’un réseau relationnel extérieur qui peut soutenir l’enfant – d’autres enfants, des adultes rassurants. Toutefois, c’est à nuancer, car un enfant que son tempérament pourrait rendre résilient dans une société ou une famille particulière ne le sera pas forcément dans une autre. […] Et si un bébé affectueux a plus de chance de connaître une évolution résiliente, ce ne sera pas le cas dans une famille rigide où, parce qu’il sollicite les regards et les caresses, il sera tenu pour un ‘ lèche-pomme ’, un enfant encombrant, et donc rejeté. "

" Quelle est la part de l’inné et celle de l’acquis?

Boris Cyrulnik : " Naturellement, des déterminants génétiques existent, explique Boris Cyrulnik. En dépit des affirmations des psychologues, on peut prédire un nombre élevé de comportements. Ainsi, en observant une bandelette d’ADN, on peut savoir que le cerveau de tel individu sécrétera beaucoup de dopamine ou de sérotonine, substances cérébrales qui rendent actifs et donnent une fringale de vie. […] " 

" Vous insistez sur le rôle du couple parental et de l’attachement maternel précoce dans le cas de mise en place du processus de résilience. Que se passe-t-il pour les orphelins ? "

Boris Cyrulnik : " S’il y a ratage au cours des premières années, explique-t-il, c’est quand même rejouable avec d’autres acteurs plus tard. Ce sera certainement plus long, moins spontané, mais possible. J’ai beaucoup travaillé avec les orphelins roumains de l’ère de Ceausescu, abandonnés très tôt dans des institutions inhumaines. Quand on parlait de ces enfants, on nous disait : ‘ Ce sont des monstres. ’ Et, réellement, ils étaient sales, sentaient mauvais, ne parlaient pas, se balançaient en permanence, mordaient, se frappaient la tête sur le sol dès qu’on leur adressait la parole. Mais parfois des paysannes arrivaient. ‘ Puisque je vis seule, je vais le prendre un peu, ce petit. ’ Elles parvenaient à reconstituer symboliquement un semblant de famille autour de lui car, proches de ces femmes, il y avait d’autres adultes, des parents, des voisins, tout un village. […] "

" Pourquoi les enfants d’une même famille ont-ils des réactions si variées face aux mêmes traumatismes? " Une question piégée…

Boris Cyrulnik : " Chaque enfant a des parents différents, même les jumeaux ", précise Cyrulnik qui comme éthologue, a dû faire ces recherches-là. Il raconte ici le cas particulier de vrais jumeaux. " L’un, Mathieu, avait la tête plus ronde que son frère Thomas. Face à la rondeur de ce crâne, leur mère se disait : ‘ Ce bébé restera bébé plus longtemps, il me rendra donc mère plus longtemps. ’ C’est à Mathieu qu’elle parlait le plus, et avec qui elle communiquait le mieux. Il s’endormait paisiblement et se réveillait souriant, tandis que Thomas, pourtant doté du même équipement génétique, s’endormait difficilement et se réveillait grognon. Leur mère avait donc la preuve que le bébé à la tête ronde était ‘ mieux ’ que l’autre. Ce petit avait une mère toujours agréable, alors que son jumeau avait une mère nettement plus maussade. " C’est donc souvent le bébé dans son comportement qui va commander l’affection de la mère ou qui va susciter l’intérêt particulier de la mère.

" Quels traits psychologiques remarque-t-on le plus souvent chez les résilients? "

Boris Cyrulnik : " En fait,  les résilients mettent en place toute une série d’attitudes de protection. En premier lieu, la révolte, le refus d’être condamné au rôle de victime passive : ‘ J’ai en moi la force de réagir, aussi je vais me battre et chercher à comprendre. ’ Puis, il y a le rêve : ‘ Je m’appelle Georges Perec, j’ai 8 ans, j’ignore ce que mes parents sont devenus. Alors je vais écrire, écrire pour leur donner un tombeau. ’ Dans son roman La Disparition, la lettre disparue, ce ‘e’ manquant, c’est ‘eux’. 
" On observe chez ces jeunes résilients une forte dose de mégalomanie. Les enfants blessés ressassent en silence : ‘ Un jour, je m’en sortirai, un jour, je leur montrerai. ’ 
" Autre mécanique de protection : le déni. ‘ J’ai été blessé, violé, je me suis prostitué mais ce n’est pas si grave, on s’en sort. ’ Le déni leur sert à se protéger de la pitié des autres, à préserver leur dignité et leur propre image – puis à ne pas tomber dans la victimite. – Mais, dans leur monde intime, ils pleurent, souffrent, rêvent. 
" Enfin, dernier mode de défense qu’ils mettent en œuvre : l’humour. ‘ Si je fais rire, sourire de ce qui m’est arrivé, je peux m’intégrer, cesser d’être un phénomène de foire. ’ Bien sûr, tous les résilients n’ont pas un sens de l’humour développé, d’ailleurs quand on souffre vraiment trop, l’humour devient impossible. " 
" La chanteuse Barbara a subi l’inceste; l’écrivain Charles Dickens puisait son inspiration dans une enfance misérable; Michel del Castillo, Jean Genêt ou encore Rudyard Kipling ont vécu l’abandon ou l’enfermement. Pourquoi trouve-t-on un tel pourcentage de créateurs chez les résilients? ", lui demande-t-on.
" Être créateur, enfin, c’est installer dans le monde quelque chose qui n’y était pas avant nous. Donc, pour l’être, il convient d’être un peu marginal, de marcher sur un sentier de montagne et pas sur l’autoroute. Or, les résilients, à cause des difficultés qu’ils ont traversées, ont quitté le chemin balisé. La vie, la société les en a chassés. Très tôt, ils commencent à écrire le récit de leurs épreuves même si ce récit n’est jamais publié et reste au fond d‘un tiroir. "

L’adaptabilité selon les sexes

Quand j’ai rencontré à nouveau Boris Cyrulnik, c’était un peu comme si je le connaissais depuis une dizaine d’années. Il y a quelques mois de cela, j’ai eu l’occasion de l’interviewer alors qu’il était venu au Québec pour un colloque qui portait, entre autres, sur la résilience, justement. Je me souviens que je m’étais dit : il va parler de résilience avec tout le monde alors je vais l’étonner en m’entretenant avec lui d’autre chose. Mais malgré tout, on a indirectement abordé la question quand on a parlé d’adaptabilité, puisque la résilience, au fond, c’est peut-être bien l’adaptabilité.

Voici donc un petit extrait, des propos qu’il nous a tenus sur l’adaptabilité selon les sexes :

Boris Cyrulnik : " Il y a des preuves que les femmes résolvent mieux que les hommes les épreuves d’adaptabilité immédiate. Les femmes n’ont pas la même perception de l’espace que les hommes. Par exemple, il y a beaucoup de tests neurologiques qui montrent que les hommes ont un sens de l’espace à peu près comparable à celui des pigeons, c’est-à-dire qu’ils disent : ‘ Il faut aller par là, je ne sais pas trop comment l’expliquer. ’ 
" Par exemple, en montagne, au-dessus des arbres, les hommes disent : ‘ Mais non, la vallée est par là! ’ En mer, où il n’y a pas de repères, les hommes disent : ‘ Mais non, il faut prendre le cap par là! ’. Là, les femmes font de très mauvaises performances. En revanche, dès qu’il y a des repères précis, alors là les femmes font des performances bien supérieures aux hommes : ‘ Mais non, tu vois, cet arbre je l’ai vu tout à l’heure! ’, alors que le gars est passé à côté de l’arbre et ne l’a pas vu. Dans un aéroport, elle repère tout de suite le tableau qui concerne le départ de leur avion. Donc là, je pense que ça dépend de la structure du milieu. Il y a des structures de milieu qui privilégient le cerveau féminin et il y a des structures de milieu qui privilégient le cerveau masculin. "


 
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