Nulle part le discours analytique ne rencontra plus de résistances que face aux
formulations concernant la sexualité infantile. De tout temps on
s’objecta aux propositions freudiennes en la matière qui donnaient de
l’enfance un portrait trop divergeant de celui idéalisé que l’on s’efforçait
de maintenir. On voulait préserver de l’enfance une image de pureté et
d’innocence alors que la psychanalyse en faisait un temps comportant sa part
d’angoisse et de tourments. Plus scandaleuse encore était l’idée
d’un enfant porteur de désirs sexuels, pervers polymorphe. La
psychanalyse proposait là une vision du monde intérieur des enfants qui ébranlait
les conceptions du temps. La résistance à ces idées fut vive et force
est de constater que, malgré une pénétration importante des conceptions
analytiques dans divers champs de la culture, elle demeure de nos jours très
active notamment en ce qui concerne la sexualité infantile. Dans le
travail clinique, cet idéal de pureté et d’innocence favorise souvent chez
les patients une vision paisible et sans histoire de leur enfance. Combien
de fois sommes-nous, comme cliniciens, confrontés à ce portrait présenté
d’emblée par des patients qui subséquemment prennent conscience de la visée
défensive d’une telle image face à des vécus intérieurs plus troubles ?
L’activité défensive contribue généralement à ce travail en expulsant
hors de la conscience les éléments susceptibles de provoquer de l’angoisse.
L’idée d’une enfance sans relief en est souvent le résultat. Aussi
sommes-nous étonnés lorsque le jeu défensif semble viser l’inverse et que
le patient, loin de maintenir une image idyllique de son enfance, veut plutôt
nous en présenter une plus traumatique, malgré l’absence d’éléments en
mesure de l’objectiver.
Il est facile de comprendre les motifs menant à une vision idéalisée
de l’enfance : évitement de la douleur, de l’angoisse, refoulement des
pulsions sexuelles et agressives etc... Il est plus difficile de saisir,
à première vue, quels sont les avantages à maintenir la vision d’une
enfance plus trouble. Dans cet ordre d’idée, je voudrais attirer
l’attention sur une situation clinique particulière où, dans le cours du
travail analytique, se développe un désir plus ou moins appuyé de convaincre
l’analyste de la réalité effective d’une hypothétique scène traumatique
sexuelle survenue dans l’enfance. Ce désir est le plus souvent méconnu par
le patient et n’est donc pas exprimé ouvertement dans la cure. Il
prendra plutôt la forme sur le plan manifeste d’une recherche de la vérité,
presqu’une enquête, où chaque contenu psychique sera évalué, soupesé en
fonction de l’appui qu’il apportera à la thèse naissante du patient. Ce
dernier procédera à cet examen muni d’une lunette déformante susceptible
d’infléchir son jugement en la matière. Ainsi, telle émotion
ressentie ou telle portion de rêve seront vus comme autant de preuves de la réalité
de l’événement. Cette quête de la vérité occupera largement
l’esprit du patient sans toutefois que les éléments rassemblés
n’emportent entièrement son adhésion ; côte à côte existeront et le
doute et la certitude que la scène pressentie a réellement eu lieu. Il
s’ensuivra pour l’analyste un malaise, un sentiment étrange d’être entraîné
malgré lui dans une recherche au but ambigu, dont un des enjeux latents se révèle
à lui par le biais du contre-transfert. En effet, c’est par la
reconnaissance contre-transférentielle que la configuration clinique singulière
que j’évoque ici prend corps et acquiert une certaine existence ;
c’est par elle que l’analyste arrivera à ressentir d’abord, puis à
nommer ensuite, le désir qu’il partage cette conviction. Je ne parle
pas ici des cas où l’analyste et le patient acquièrent tous deux une
certitude quant à la réalité de certains événements traumatiques
(encore faudrait-il se demander quels éléments suffisent à tel ou tel
analyste pour emporter sa conviction) mais plutôt de ceux où subsiste un
doute, même à des degrés divers, chez les deux membres du couple
analytique.
Il est toujours malaisé dans un contexte thérapeutique de statuer sur
la véracité d’un traumatisme évoqué. Faute de critères dits
objectifs, l’analyste doit souvent se rabattre sur des impressions
contre-transférentielles afin d’en arriver à une conclusion personnelle à
cet égard. Il est certes souhaitable pour le processus analytique que
patient et analyste s’entendent tacitement pour laisser en suspens toute décision
sur le sujet et maintiennent plutôt cette question dans cette aire
transitionnelle si chère à Winnicott, où il est convenu de ne pas décider si
tel ou tel événement fut réellement survenu ou non.
suite de la conférence : "Traumatisme"
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